28 avril, 2012

Doors, Light my fire.


S'il y a bien quelque chose que j'aime bien au réveil, c'est les longueurs. Excitées ou sourdes, les choses prennent une odeur particulière, elles se font en même temps qu'elles sont là. Elles se forment, doucement, les molécules (quelque chose comme ça) passent d'un processus l'autre et on y voit plus clair. Ce sont des miniatures. J'appelle ça du sous-réalisme (mais ce sont des moments où palper les minutes fait du moment quelque chose de beaucoup plus réel que le réel). C'est très dur à écrire : ce sont des moments de langage strictement pas intéressant, des béances animalières endormies qui s'éveillent et dont le détail grise, des pages où c'est écrit gros car il n'y a rien de plus que trois mots. Une espèce de longueur alors. Il y a mille longueurs différentes mais les longueurs s'étirent toujours.




Une immense parenthèse pour mettre ici une longueur toute musicale, une merveille de matinée, le tronc de Light my fire (Doors). Le solo se réveille à 1'10. Il tatillonne, dansant, rêveur, chiant aussi car dragueur mou (les combinaisons papillonnent), hypnotique comme un afflux de sang verdâtre sur la piste (joujou gratte gratte). Un peu rampant en somme, qui monte doucement. Mais qui dit étirement dit feu d'artifice. Ici, à peu près à 5'35 où on sent que les mots sont plus tout à fait pareils, la tignasse a changé de couleur. Tout ça pour ça, on se dit. Et ouais.




Se réveiller doux.




22 avril, 2012

Cheyenne crève.



Oui mais avec sourire, beau sourire pour le type le plus couillu de l’ouest. Lui, dans l'ombre, qui fait passer la seule femme du film d’est en ouest (hors usa : un moment de chialade). Puis sur le bas côté, le cheval boitille et Cheyenne bégaie un peu. Leone s'approche et voit la plaie et voit le doute et voit l'heureux et voit cette larme chaude qui s'évapore tout de suite et voit l'autre qui trace dans le désert. On aurait quand même - (comme quand les duellistes tournent comme des indiens autour du terrain de jeu, que la musique tonne et que les types n'arrêtent pas de ne pas bouger les sourcils en suant ; que Bach et Morricone fument à la même pipe, images qui se répètent, des tambours, mais qui font jubiler comme un dingue) - bien écouter un peu plus longtemps avec toi, Cheyenne, le bruit du rien, le bruit de trois secondes encore. Cheyenne rit et pleure comme un coyote percé de balles. Une mandoline tombe dans la rivière et partout des hommes sifflent. 








L'adieu le plus heureux du monde.


(mots tirés depuis : once upon a time in west, 1968, s.leone).



18 avril, 2012

Rothko 2010.





(photo par m.)



Untitled (vert et tâches), Rothko, deux-mille dix, Kotor.


Homme pas si abstrait que ça donc, il y a les os.


15 avril, 2012

Volodinesque.





(Volodine regardant là où les migales se cachent par exemple ou qui te souhaite un bon dimanche parce qu'il est sympatique).




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(Volodine ou le voir entre les os, lire les lignes de la main en imagination, faire le mort, la danse avec les blattes, écriture-malaria, etc.)     









     Nous nous démenions sous la pluie battante ou sous le soleil écrasant, obligés de forcer le ton de nos cris pour vaincre le vacarme des gouttes fouettant la terre ou le perpétuel chant striduleux des cigales ou le bavardage des perroquets, des singes. Dans la cour des cuisines on me contraignait à assister aux égorgements et aux dépeçages. Il y avait là des garde-manger et des viviers. On tuait et on étripait devant moi des singes, des serpents, des tortues, et parfois ce que les impérialistes appellent des crocodiles et que nous appelons des jacarés : parfois oui, des jacarés gigantesques. 
     Quand on m'interrogeait sur mon identité, sur ma nature véritable, il se trouvait toujours un Auguani pour prétendre que je n'étais pas un Indien de pure souche, pour dire : Les Jucapiras doivent être classés à part, comme les Cocambos qui ne croient pas à la réalité du monde, les Jucapiras vont et viennent insidieusement parmi les Indiens tout en étant moins indiens qu e les autres. On testait mes connaissances de vocabulaire, me montrant les arbres qui poussaient au-delà de la palissade, derrière le bassin aux jacarés, on m'invitait à nommer les arbres avec la prononciation auguanie, à grande vitesse et sans me tromper, et, quelle que fût la qualité de ma prestation, il se trouvait toujours un ou deux Auguanis pour dire : Les nasales des Jucapiras ressemblent à des diphtongues impérialistes, comme des touristes. J'avais ensuite à m'expliquer sur des épisodes de ma vie révolutionnaire ou sentimentale. On rouvrait ensemble les vieux chapitres et les blessures.
     J'étais un familier de la cours des cuisines. Je connais bien la palissade qui tout autour formait une ligne sinueuse, infranchissable. Contre les piquets de bambou on m'adossait. Je faisais face au soleil de juillet, d’août, tandis qu’un des cuisiniers chargés de mon dossier vérifiait que le tranchant de sa machette sur la nourriture auganie, sur les victuailles qui entre vie et mort frémissaient.
     Je n’ai qu’à fermer les yeux pour revoir l’enclos, ses billots pelliculés au sang, ses mouches, le baquet où bleuissaient les pattes et les têtes de poulets qu’on laissait pourrir avant de les déverser dans la mare aux jacarés, presque directement dans les gueules.


[…]
      


Antoine Volodine, Le nom des singes, 1994, Minuit (pp.37-38).

11 avril, 2012

Rature seconde : 6 m3.

      

     J'ai écris des pages et des pages pour un certain professeur (puis après rencontre sans communication, très naturelle, dans son 6 m3), onze pages (plus précisément) qui s'acharnent sur quinze petits vers de rien du tout publié en 1953. C'est épuisant et c'est beaucoup d'énergie à vouloir rendre science ce qui n'est qu'art (ou poésie), c'est-à-dire, rien de vraiment mesurable. Et on doit surtout pas poser cette question, d'ailleurs. Donc : onze pages du pire scribe, indigestes et sales - qui traduit les lignes d'un bonhomme à qui on a juste envie de serrer la pince, qu'on a juste envie de voir marcher (pour constater qu'il ne se passe rien), ou d'échanger des lettres (bien que ceci, nous pouvons le faire avec les fantômes sans demander). Après avoir perdu mon temps à objectiver les vers en retours à la ligne, je vais faire, ci-dessous, une petite soupette rien qu'à moi (enfin, après une semaine) : dedans, je peux crachouiller et bégayer autant que je veux. 







[ Photo par inconnu représentant le spécimen  tyto alba ou hibou des forêts ou effraie ou hibou en 15 vers 
ou, ou, ou, ou, ou, ou, à modulations variables.]




Comme je l'ai déjà dit, je ne sais où, la source est d'une importance relative. Ce nouveau poème sériel s'intitule six mètres carrés, il est dédié à J. (ou ph.J) - masculin cette fois.



(le discours)


     dans la nuit, c'est piaf qui dit que tu vas mourir
     la crève entre par la sonette, c'est pas pour rire :
     l'os -.

     il jaccotte, cocotte, bruite, tout ce qui fait
     oiseau jusqu'à atterrir polysém- cf.vers 6
     dans la glue,       u,     sémant-ique.

     l'homme dans les bois mémentomorise
     quand il dit enfers, ce n'est pas pour la
     rigole, c'est pour de vrai ou pire, 
     pour l'antiquise.

     merde

     dans le 6 mètres carrés
     (où j'ai plongé comme on plonge, 
     dauphin, dans un bain d'iode pure)
     j'ai oublié l'érotise et la 
     dandine de la voix (dire vite comme "l'abeille coule". Il ne se passe rien)

     merde
     pas des blagues
     quand il dit enfers, le piaf, entre la peau et l'os,
     c'est pas pour la blague,
     ce poème oui.




(du nouveau en bouche, un)



     j'ai trouvé
     sous la couche du lit
     des vers muets




(du nouveau en bouche, deux)



     sous couette
     comme roche
     un parterre de guèpes,
     elles ne tournoient plus
     (la mer jusque là.)




(du nouveau en bouche, trois)



     l'aurore 
     montre
     ses dents
     




05 avril, 2012

Chasse. En te débusquant

"Somebody threw a dead dog after him down the ravine."


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            En te débusquant, j’ai trouvé bruit – fit musique, plate et vibratoire comme un corps où une sève sue et se tire la main jusqu’à l’or brute. Puis j’ai crispé la voix.

            J’ai crispé la voix et étendu après longtemps sec, par traits, le crache sans odeur sur le parquet, la vase d’où j’ai tiré l’animal de la débusque, la vase et la torsion, juste après.

            Le parquet était marqué de crocs. Et j’ai tiré l’animal, voyant la bouche des pierres, j’ai parlé à leurs oreilles, il y eut crac puis un sème sans locution.

            Serait-ce un trou : j’ai tombé fond. Sans-poil les racines mortes juste-là et la paroi taupe où j’ai cheminé et enterré l’or et ce fut tout, sans poil j’ai vu bête non.

            Morte aux verrous et infime. Les verrous sur la voix et la langue aqueuse et courir après ma conjugaison, j’ai eu des vocabulaires et enfin l’informe.

            Spasme aux lexiques car je parle et plante bêtes et parle peaux et espèces et fleurs et je parle et l’enclos où danse l’eau parle et je qui filtre la magie découpe l’eau, cette fleur.

            Magie jusqu’au cervelet car l’organe subit maux, déjà bien rouillé de mots trop mots en trop et la rue m’effrite mais s’il te plaît ne dis rien j’ai déjà avalé trop d’air et de.
           
                                                                                                                            
                                                                                                                                            […]