28 septembre, 2012

Dix sept heure treize.


     Dix sept heure treize. Il n'a pas vraiment plu aujourd'hui ou ce matin, mais à sept heure du matin rien.

     Les gens attendent devant un camion friandise publicitaire que la marque leur distribue des céréales gratuites dans des paquets de 15 grammes.

     Des jeunes pas majeurs et aussi des adultes. Tous plus ou moins beaux. Ils attendent sans bruit et il y a des sourires dans le camion friandise publicitaire. On distribue vite. Autant de filles que de garçons, c'est intéressant ça.

     Les gens sont contents surtout la maman qui dit à sa fille de remercier la demoiselle car celle-ci, en plus du flyer coloré, donne un paquet de céréale gratuit de 15 grammes.

     Il y a des fruits dans les céréales, c'est pour ça la couleur.

     Dis merci à la demoiselle ma chérie, c'est très gentil.

     Autour c'est très normal, le décor est normal. Le soleil tombe presque et les gens marchent vite car le tram ne fonctionne plus. Il y a un tas de monde dans la rue mais ce n'est pas une manifestation non plus. Normal est un mot dans lequel il y a des choses gratuites divisées en petits sachets de 15 grammes.

15 septembre, 2012

Jeudi soir : en différé.


      je n’arrive jamais à dormir bien.

     je n’ai rien demandé à personne quand je reviens de chez les copains calmes et que je veux lire et que je veux pas que mon enfant hurle, lui ne peut pas encore dire que ça le fait chier d’entendre sauter des mecs sur le plafond blanc.
                
      je monte, bonhomme.
                
     mes voisins jouent torse nu autour d’une table moche, ils lancent une balle de ping-pong dans leur verre en plastique. 

      et ils gueulent.

      ils sont rouges. je les surprend. ça pue.

      je leur dit d’arrêter de gueuler, sans gueuler. j'utilise même pas le mot, j'utilise le mot bruit qui était, à vrai dire, assez faible pour expliquer ce qui se passait. mais à cette heure-ci, il n'y a plus de bon usage.

      fermez la porte. la petite dort pas. et la musique. s’il vous plaît. et. eux sourient mais cela ne me gêne pas. ils sont rouges. ils sont très compréhensifs aux problématiques qui semblent me cogner à ce moment-ci. comme ils doivent faire au boulot.
                
      torse nu ils gueulent, je veux m’empêcher de les trouver ridicules, ça marche un peu.
                
      ils gueulent donc, toujours.

      leur musique gueule. très mal qui plus est, la voix humide et moche des mauvaises radios. un peu de vomi sur le gazon reste, soit. ce n’est peut-être pas eux. je n'en sais rien au fond. c'est juste une soirée. et je viens de revenir. bon.

     ils gueulent de la terrasse et ont des primes de deux-mille euros et ils bavent et ils gueulent. ils ont remplacé le mot parler par celui là, ce qui est dommage pour les trois locataires du bas mais à cette heure-ci, il n'y a plus de bon usage. on surveille pas sa langue.
                
       deux heures après pire. je ne suis plus persuadé que ce n'est pas une bande de cons. je sors et :
                
     le voisin est sorti hé. fermez juste vos gueules. fermez juste vos gueules.sérieux. moi le con, eux la gueule fermée 

       moi le con et eux la gueule fermé d'un coup et sans les pieds au dessus et plus les objets qui bougent. ils se carapatent. je note qu’il est impressionnant que des gens aussi ivres parviennent à être aussi silencieux. moi-même n’y arrive pas. moi le con. moi j’insulte. j'ai surveillé ma langue ceci dit : une rage grammaticale.
                
      eux n’hurlent plus. moi je m’insulte au fond du coussin il est une heure trente du matin.

      demain matin ils ont un costard à enfiler qui sera propre à l’envers d’eux.

      la nuit ne se repose pas dans ma tête ça hurle encore dedans j’insulte j’étais comme obligé de devenir un con avec ma langue.
                
      j’ai déjà décliné une quantité folle de fois les façons avec lesquelles je pourrais les tuer une bonne fois pour toute. ce qui m’empêche encore de dormir. je devrais peut-être ajouter, en plus de l'insulte, que j'ai la tête bancale. les souffler un peu. ce qui m'empêche de dormir.


03 septembre, 2012

Faire sa rentrée / Agnès Desarthe. Une partie de chasse.



L'été grisaille un peu et comme nous sommes en septembre, je reviens un peu. Allons-y molo. Je lis pour vous un texte de la rentrée littéraire (dont je me fous) mais dont personne n'a parlé (parce que certains écrivains continuent de travailler à leur langue). Même : je vous le prête.







     C'est un texte bizarre qu'on lit d'un trait et accroché aux paragraphes très secs et malins. Le texte : Une partie de chasse, Agnès Desarthe, Editions de l'Olivier, 152 pages. Pas entendu parler avant, simplement une lecture, à haute voix, comme avec ce qui suit dessous par exemple (à toi).





"Ils commencent à évacuer l'école. Les enfants sautent dans les flaques, reçoivent des claques, pleurent. Les adultes hurlent, les poussent, les portent. On leur crie que la rivière est sortie de son lit. Ça les fait rire. Une rivière qui sort de son lit. Ha ! Ha ! Ils rient et pleurent en même temps."



     En soit : il y a une tempête très arbitraire qui tombe d'un seul coup alors que quatre bonhommes sont à la chasse et ne parlent pas. Ils sont un peu brutes. Il y a un lapin dans une gibecière qui dit des choses très simples. Il y a des souvenirs d'adultes et d'enfants avec la langue des adultes et des enfants. Les uns comme les autres surveillent rarement leur language. Et les paroles se relayent, s'enchaînent sous ce climat, se noient, crachouillent dans la boue, se transmettent et se déforment dans le temps, qui est bête comme tout. 

     Encore.


"Ça commence déjà à sentir la charogne dans vos habits trop imperméables pour permettre l'exhalaison de vos pores, ou trop perméables pour empêcher l'eau de vous envelopper. Votre puanteur est stupéfiante. Jamais senti un truc pareil. À votre place, je creuserais un trou (...) : vous creusez un trou et vous déshabillez, vous fourrez vos vêtements dans le trou afin qu'ils restent secs. Vous courrez et vous sautez pour vous réchauffer. Votre peau respire, vous êtes lavés, et quand la pluie cesse, vous n'avez plus qu'à vous faire sécher au soleil, ou au vent, ou simplement à l'air, et à remettre vos vêtements. Ainsi, vous aurez chaud. Ainsi, vous serez couverts. Car, oui, je sais, c'est très important pour vous d'être couverts. C'est quoi, au juste, votre problème avec la nudité ?"


     Le texte traite d'un apprentissage rugueux de l'impossibilité à saisir l'intériorité de l'autre. D'où les signes partout. Mais que l'on perd. Et l'autre qu'on envisage seulement. On ne tâtonne pas dans l'autre, il tâtonne sur nous. L'écriture déracine alors toutes les déterminations automates auxquelles la langue, absorbée en elle-même, abat sans réfléchir. L'écrivaine compte alors les mots utiles et aucun ne dépasse trop sur le réel.

     Voilà un texte qui cogne de l'intérieur de la langue et la fait déraper. Par vagues de crasse. Les personnages dérapent aussi : dans la quête du souvenir, dans leur présence, dans leur présence verbale, dans l'idée du sens qu'ils se font d'eux mêmes. Ils sont crades. Parce que l'individu essaye de contourner le feu. Mais il échoue ; comme après un jeu idiot. Ils sont crades et empêtrés dans une langue absurde (ils sont alors absurdes). Quitte à se retrouver cul nu et en bottes un jour d'orage, pour palier la petitesse de l'égo et de ses questions. Absurde alors, comme ce lapin qui court sans cesse à rebours, qui parle, qui fais le mort, joue au mort, fais mentir l'homme-de-rien-du-tout.


     Cul nu en bottes avec une grimace. A vrai dire, la littérature ne répond à aucune question précise. Singulière comme plurielle : tournant autour du pot, balbutiante, ne bouclant rien. Surtout pas spéculer, ni jouer numéro 10 des idées. Desarthe s'en moque tout à fait et si les choses sont affirmées, c'est au milieu des flashs, des photographies de la pluie, des accidents de la langue, du fusil chargé sans faire exprès. On est dans le brouillard et il s'insinue mystérieusement partout (homme/animal , homme/femme , homme/homme, homme/langue, langue/bateau, hasard/destin , bla/bla). On est dans le brouillard et il rit sans bruit. 



     "Une chaleur étrange, réfugiée dans la futaie, un abris.
    Il s'assied sur une branche, contemple l'eau en contrebas, à quelques mètres sous lui, examine son colis : visage de nacre tranquille. Farnèse croit voir une narine frémir. Il n'a pas le courage d'en savoir plus. Très vite, il défait le foulard qu'il porte autour du cou et s'en sert pour fixer le corps emmailloté à la branche la plus large qu'il trouve. Il vérifie que ça tient, ça résiste, que le paquet ne risque pas de s'envoler, de tomber, d'être emporté, et il plonge. Feuilles, feuilles, branches, feuilles, branches et branches, feuilles, branches, boue."



     On croit avancer toujours mais les adultes, pas plus que la langue, ne sont sérieux. On se pète la gueule.