30 janvier, 2013

(tiré de Gurs, 2011).

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Qu’est-ce qu’ils foutent ici ? 

Sur les tombes je vois ça : נ ’פ.  

Qu’est-ce que ça veut dire ?

1941 1942 1941 1941 1943 1942 1941 1941 1943

Là, par terre, c’est un tas de corps nus morts comme les feuilles mais je vois rien. Trois années pour mourir. J’ai mal aux yeux, les arbres et le vent dedans. Là les pierres. Je suis dans un coin du Béarn et j’ai toute l’Europe sous les pieds. Je regarde chacune des tombes. Juste quelques heures parce qu'ils sont restés là tout ce temps.

1942. 1941 1941 19431942 1941 1941 1943. 1942. 1942.

Ça ne veut rien dire.

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23 janvier, 2013

Remarques. Nathalie Quintane.




Est-ce qu’un livre peut être riche de riens ? (Les riens, les keudal, les misères, les quotidiennes, les objets). Que peut-on dire des livres sans commentaires ? Est-ce que ça existe ? Et, si on ne peut pas dire grand chose, est-ce que ça peut/veut vouloir/pouvoir dire que ça ne vaut rien ?

Fi.

En ce sens, je vais parler un petit peu d’une auteure dont j’aime beaucoup la démarche. Nathalie Quintane (c'est elle sur l'image, elle mange un sandwich) . Ma perception de son travail pourrait se résumer par une somme de coups de poings au bide (Tomates), de rigolades d’enfance sans enfants (Antonia Bellivetti), de fausse fiction linguistique (Grand ensemble), d’une pointe de déception dont on ne peut se dire qu’elle mériterait d’être dépassée (Crâne chaud, son dernier, ambitieux, un peu déceptif, jusqu’au dernier chapitre, pour lequel on reprendra tout – encore plus vite, etc.). Elle a écrit un tas de livres que je découvre progressivement.

J’ai trouvé Remarques. Ce n’est pas édité chez P.O.L. C’est son premier. Le voilà alors. Je l’ai pris. Ce livre est rouge et non blanc. Puis j’ai lu Remarques. Un peu d’abord. Puis d’un trait (trente deux minutes). Puis les morceaux. Puis à voix haute à quelqu’un. Ravi. Puis je me suis promis de l’offrir à tout le monde. Puis je me suis dis que tout le monde s’en fichait un peu et que ça allait me coûter un petit peu cher.

Il s’en fichait un peu tout le monde.

Elle, quand elle écrit, elle s’en fiche peu. De quoi : de rien. Un livre sur rien. Sur le quatrième de couverture, on lit automates. Que nous sommes des automates. C'est vrai. Parce que bon. Une journée, c’est une succession de postures, une succession de gestes, imprécis, non-réfléchis. Non-réfléchis, ça veut dire : impensés et sans reflets. C’est sans reflets parce que ça ne vaut pas le coup de regarder dans la machine de tous les jours. Il y a des postures mais pas du tout comme dans une danse car ici on ne fait que s’arrêter. D’un point A à un point B, on doit avancer et comme le temps coûte cher, on trouve des astuces. Ce sont les objets et les véhicules utilisés qui nous obstruent le passage. Ce ne sont pas les mêmes qu’il y a deux cent ans. D’ailleurs, peut-être que tout le monde n’était pas si pressé avant.

Le livre va dans ce sens: il compile des Remarques (le titre, un sous-titre, une catégorie littéraire géniale). Il y a trois sections. Un : En voiture. Deux : Maison. Trois : -.

Tout ce qu'on trouve dans ce livre est ce que tu ne remarques pas. Le geste est marqué dans le cerveau, tu as appris à le faire, le temps te l’a appris. Maintenant ce sont des manies. Le sujet du livre n’est rien que ça : revoir et revoir le geste fait. Voir les étapes : si je fais ça, ça fait ça, je vois ça. Sans commentaires, sans trop de métaphores. Les remarques s’enchaînent très sobres et très soigneuses : on doit décrire ce qui se passe. La plupart des remarques sont donc sans importance. On ne fait que découvrir un bout de son visage (!). Pas de fils caché, ni de lettre cachetée entrouverte, ni de waw, de ô. Ce qui se passe est sans grande importance car c'est , tout de suite en dehors du livre. Les remarques parle du dehors et comment on le fait et pratique. Les remarques montrent des astuces, notre corps d’aujourd’hui, assez méconnu en somme, des situations de science-fiction entre nous et les objets. En une phrase ou deux.

On lit :
Un insecte est venu s’écraser contre le pare-brise avec un petit plic.
Parfois, un dos d’âne inattendu coupe une phrase en plein milieu
Au moment où je dépasse sa voiture, une fillette plaque son visage contre la vitre : il y a un rond blanc à la place du nez.

Ainsi pour faire cela c’est une langue faussement simple. Une langue précise. Une langue-table : j’ai des mots, je dois dire un fait avec et je dois les ranger comme il faut. La langue travaille vers un dépouillement minimaliste (et ludique) destiné à nous faire voir, à nous voir (se reconnaître) et décrypter ce banal. Non, banal ce n’est pas un bon mot. C’est un mot moyen. Le quotidien et les astuces et les idioties. C’est très infra-ordinaire tout ça (= Perec + De Certeau). C’est une langue infra-ordinaire qui veut nous montrer à quel point c’est extraordinaire ce qu’il y a autour de notre corps qui bouge, de notre maison que l’on édifie, des objets que l’on fabrique, des situations dans lesquelles nous nous mettons.
Quand je mange une biscotte bien croustillante, j’entends moins bien la radio.
Au-delà d’un certain nombre de choses plutôt petites, on inventa la boîte.
Parfois, on préfère rester à l’intérieur pour garder sa maison.

Je n’ai pas envie de trop pinailler sur trop d’analyse. C’est simplement un livre plein d’espaces où jouer. On se dit qu’être attentif (dans la langue, son usage et le monde construit) peut donner des livres très éclairants. Très rien du tout comme on a besoin pour mieux voir. Sans vitesse. 

Cette pratique minimaliste (et pour le lecteur, expérience-limite, un petit peu, cela dépend de l’habitude quoique parfois les choses les plus simples sont les moins lues & comprises) peut-elle tenir longtemps ? Nous sommes en droit de se la poser. Pas de réponse. Qui veut. Allez. 

Quoi qu’il en soit, l’attention de la langue et de son usage mènent doucement à une méfiance de la rhétorique métaphorique tissante et tissotée depuis des lustres (lustres, c’est un mot assez flou pour dire longtemps sans avoir à dire siècles, et ça fait un peu lancé comme ça, ça donne un côté folklo). L’acte d’attention de la langue, de son propre usage et fonctionnement (car quand je fais ça, que fais ma langue ?) est peut-être une solution partielle à l’excédent d’images toutes faites, celles de la télévision comme celles d’une certaine poésie (parfois – je rajoute un peu de flou, je ne nomme guère). 

Du moins, c’est une attitude dont je me sens de plus en plus proche.
Le fait de passer par une fenêtre ne suffit pas à la transformer en porte.
En immeuble, on connaît un voisin par ses bruits.
Les personnes à qui l’on s’adresse à travers la porte d’entrée répondent.
Après avoir pris une douche, je peux écrire mon nom sur l’armoire à glace de la pharmacie.

à propos de Remarques, Nathalie Quintane, Cheyne éditeur, coll. Grands Fonds, 1997.

10 janvier, 2013

Les Hauts de Hurlevent, Andréa Arnold.


On a rarement filmé avec autant de nervosité, de désir et de sans rien le brouillard, le vent, les chevaux, le soleil, les cheveux, la lumière, la nuit, les insectes, la boue sous les ongles. Ce rien au rang de merveille.








à propos de Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent) par Andréa Arnold, 2011 (il est encore en salle). Film laissant sans bouche pour parler trop. 

03 janvier, 2013

Gaves (proses).


Les trois textes qui suivent sont pour Jean et Adrien. Ils s'appelle gaves. Je les ai retrouvés au fond de mon ordinateur mal rangé. Il datait d'il y a quatre ans. J'en avais un petit peu trop fait. Je crois que comme ça, ils sont assez authentiques.


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(Géographie : Auterrive, derrière les gaves.)

1
C’est samedi seize heures et le village est désert. Après les champs on a exploré un petit village. On est tombé dessus : les maisons sont fleuries et propres. Personne dehors. Il n’y a même pas d’odeur. Il fait chaud : il y a beaucoup de soleil. Les couleurs sont vives.  De la voiture, d’un coup, on voit un clocher, presque faux. On regarde les trois. La voiture grogne. J’ouvre la portière.
C’était très simple à l’intérieur. Il fait frais. Les pierres sont lourdes. On s’est assis sur les grands bancs vides. Qu’une odeur un peu vieille. Nous n’avons rien dit jusqu’au retour vers la voiture. C’était rien du tout.

2
On a trouvé un coin près de l’eau. On s’est s’assis sur les pierres chaudes. Ça tâche nos pantalons. On fume. On ne voit pas le temps passer.  Il n’y a personne autour de nous.  De la berge, on voit une maison immense qui semble vide. On discute beaucoup, à moitié sérieusement. Quand même. Il y a comme une ivresse du soleil. L’herbe est grasse. On est assis sur nos sacs à dos. La voiture noire attire deux chiens. Il y a de la poussière et une cabane bancale. On ne fait rien de mal. Je n’arrête pas de fumer les cigarettes de mon voisin. Je ris fort. On se tape les épaules. Au bord de l’eau il y a quelques arbres un peu frêles qui nous protègent de la lumière. L'après-midi se passe patiemment et le soleil descend. Le ciel derrière la rivière est clair. On fume une dernière cigarette et lourds on monte dans la voiture.

3
Étourdi le conducteur et les passagers rigolards, on a traversé la départementale en dérapant et la voiture a glissé en ratant le stop. Le conducteur voulait freiner. On a vu le fond de nos yeux sur deux secondes. Autour aucun bruit. Puis on a oublié. J’avais le bras à la fenêtre et le vent passait.