Est-ce qu’un livre peut être riche de riens ? (Les riens, les keudal, les
misères, les quotidiennes, les objets). Que peut-on dire des livres sans commentaires ? Est-ce que ça existe ? Et, si on ne peut pas dire grand chose, est-ce que ça peut/veut vouloir/pouvoir dire que ça ne vaut rien ?
Fi.
En ce sens, je
vais parler un petit peu d’une auteure dont j’aime beaucoup la démarche. Nathalie Quintane (c'est elle sur l'image, elle mange un sandwich) . Ma perception de son travail pourrait se résumer par une
somme de coups de poings au bide (Tomates), de rigolades d’enfance sans enfants (Antonia Bellivetti), de fausse fiction linguistique
(Grand ensemble), d’une pointe de déception dont on ne peut se dire qu’elle
mériterait d’être dépassée (Crâne chaud, son dernier, ambitieux, un peu déceptif,
jusqu’au dernier chapitre, pour lequel on reprendra tout – encore plus vite,
etc.). Elle a écrit un tas de livres que je découvre progressivement.
J’ai trouvé
Remarques. Ce n’est pas édité chez P.O.L. C’est son premier. Le voilà alors. Je
l’ai pris. Ce livre est rouge et non blanc. Puis j’ai lu Remarques. Un peu
d’abord. Puis d’un trait (trente deux minutes). Puis les morceaux. Puis à voix
haute à quelqu’un. Ravi. Puis je me suis promis de l’offrir à tout le monde. Puis je
me suis dis que tout le monde s’en fichait un peu et que ça allait me coûter un petit peu cher.
Il s’en fichait
un peu tout le monde.
Elle, quand elle
écrit, elle s’en fiche peu. De quoi : de rien. Un livre sur rien. Sur le quatrième de
couverture, on lit automates. Que
nous sommes des automates. C'est vrai. Parce que bon. Une journée, c’est une succession de postures, une
succession de gestes, imprécis, non-réfléchis. Non-réfléchis, ça veut
dire : impensés et sans reflets.
C’est sans reflets parce que ça ne vaut pas le coup de regarder dans la machine
de tous les jours. Il y a des postures mais pas du tout comme dans une danse
car ici on ne fait que s’arrêter. D’un point A à un point B, on doit avancer et
comme le temps coûte cher, on trouve des astuces. Ce sont les objets et les
véhicules utilisés qui nous obstruent le passage. Ce ne sont pas les mêmes
qu’il y a deux cent ans. D’ailleurs, peut-être que tout le monde n’était pas si pressé avant.
Le livre va dans ce sens: il compile des Remarques (le titre, un
sous-titre, une catégorie littéraire géniale). Il y a
trois sections. Un : En voiture. Deux : Maison. Trois : -.
Tout ce qu'on trouve dans ce livre est ce que tu ne remarques pas. Le geste est marqué dans le cerveau, tu as
appris à le faire, le temps te l’a appris. Maintenant ce sont des manies. Le sujet du livre n’est rien que
ça : revoir et revoir le geste fait.
Voir les étapes : si je fais ça, ça fait ça, je vois ça. Sans
commentaires, sans trop de métaphores. Les remarques s’enchaînent très sobres
et très soigneuses : on doit décrire ce
qui se passe. La plupart des remarques sont donc sans importance. On ne fait que découvrir un bout de son visage (!). Pas de fils caché, ni de lettre cachetée
entrouverte, ni de waw, de ô. Ce qui se passe est sans grande importance car c'est là, tout de suite
en dehors du livre. Les remarques parle du dehors et comment on le fait et pratique. Les remarques
montrent des astuces, notre corps d’aujourd’hui, assez méconnu en somme,
des situations de science-fiction entre nous et les objets. En une
phrase ou deux.
On lit :
Un insecte est
venu s’écraser contre le pare-brise avec un petit plic.
Parfois, un dos
d’âne inattendu coupe une phrase en plein milieu
Au moment où je
dépasse sa voiture, une fillette plaque son visage contre la vitre : il y
a un rond blanc à la place du nez.
Ainsi pour faire
cela c’est une langue faussement simple. Une langue précise. Une langue-table : j’ai des mots, je dois dire un fait avec et je dois les ranger comme il
faut. La langue travaille vers un dépouillement minimaliste (et ludique)
destiné à nous faire voir, à nous
voir (se reconnaître) et décrypter ce banal. Non, banal ce n’est pas un bon
mot. C’est un mot moyen. Le quotidien et les astuces et les idioties. C’est
très infra-ordinaire tout ça (= Perec + De Certeau). C’est
une langue infra-ordinaire qui veut nous montrer à quel point c’est
extraordinaire ce qu’il y a autour de notre corps qui bouge, de notre maison
que l’on édifie, des objets que l’on fabrique, des situations dans lesquelles nous nous
mettons.
Quand je mange
une biscotte bien croustillante, j’entends moins bien la radio.
Au-delà d’un
certain nombre de choses plutôt petites, on inventa la boîte.
Parfois, on
préfère rester à l’intérieur pour garder sa maison.
Je n’ai pas
envie de trop pinailler sur trop d’analyse. C’est simplement un livre plein
d’espaces où jouer. On se dit qu’être attentif (dans la langue, son usage et le
monde construit) peut donner des livres très éclairants. Très rien du tout comme on a besoin pour
mieux voir. Sans vitesse.
Cette pratique minimaliste (et pour le lecteur,
expérience-limite, un petit peu, cela dépend de l’habitude quoique parfois les choses les plus simples sont les moins lues & comprises) peut-elle
tenir longtemps ? Nous sommes en droit de se la poser. Pas de
réponse. Qui veut. Allez.
Quoi qu’il en
soit, l’attention de la langue et de son usage mènent doucement à une méfiance de la rhétorique métaphorique tissante et tissotée depuis des lustres (lustres, c’est un mot assez flou pour
dire longtemps sans avoir à dire siècles, et ça fait un peu lancé comme ça, ça
donne un côté folklo). L’acte d’attention
de la langue, de son propre usage et fonctionnement (car quand je fais ça, que fais ma langue ?) est peut-être une
solution partielle à l’excédent d’images toutes faites, celles de la télévision
comme celles d’une certaine poésie (parfois – je rajoute un peu de flou, je ne
nomme guère).
Du moins, c’est une attitude dont je me sens de plus en plus
proche.
Le fait de
passer par une fenêtre ne suffit pas à la transformer en porte.
En immeuble, on
connaît un voisin par ses bruits.
Les personnes à
qui l’on s’adresse à travers la porte d’entrée répondent.
Après avoir pris
une douche, je peux écrire mon nom sur l’armoire à glace de la pharmacie.
à propos de Remarques,
Nathalie Quintane, Cheyne éditeur, coll. Grands Fonds, 1997.