29 juin, 2012

Old Joy - K.Reichardt




Je commence à devenir très partisan du cinéma de Kelly Reichardt. C'est un cinéma où on ne fait rien et on ne dit rien. Où les choses ne veulent rien dire. Plates. C'est vrai que parfois, que l'on filme, que l'on écrive, que l'on peigne, on peut se demander (du moins, en ce moment, je) pourquoi il y a ce besoin de hauteur dans le geste de création. Hauteur au sens : cela doit être filtré par l'art, qui est une pratique pour en faire quelque chose d'intense. Quelque chose comme transformer. La métaphore, c'est peut-être ça : voir, non mieux, mais d'une façon meilleure.

(...)

Old Joy, 2006, est d'une couleur absolument calme. Il va sans dire que je ne propose pas à grand monde pour m'accompagner dans ce genre d'exploration. Old Joy : nous avons donc deux amis, anciens. L'un a grandi, l'autre non. C'est quoi grandir ? Un se fixe, l'autre en est incapable. Un tire la gueule, arrive pas à regarder mieux dehors (justement), l'autre délire ou semble le faire. Au fond, ils ne se comprennent pas vraiment. Mais ils font des kilomètres. Ils vont au dinner. Ils trouvent la source d'eau chaude. Nous. La route, les oiseaux, trois mots, la route, le chien, les oiseaux sur les fils électriques, rock instrumental, la radio qui s'allume, la radio qui s'éteint, les deux bonhommes perdus, les voix qui se dissipent. Etc. Rien. Le film dure 75 minutes. On a visité l'Oregon très vert et les regards des deux hommes. Constaté l'embarras devant leur choix respectif. La ballade sauvage s'achève, mollement, sans joie. L'un dépose l'autre à sa maison qui a l'air dans un sale état.

Il n'y a rien eu. La caméra pas franche ; sans rien vouloir montrer. Les mots des acteurs non plus ne montrent rien. Qu'est-ce qu'il faut montrer, sur quoi pointer le doigt, comme ça, tout a l'air de suffire. Le bruit de la voiture non plus. Le montage non plus si ce n'est : la longueur des choses, la distance, l'espace, le dehors, les autours, les territoires, territoires préservées, territoires cachées, territoires interdits, territoires à dépasser, territoires qui se déplacent eux-mêmes. Ce sont 75 minutes volées qui ne sont pas 75 minutes de cinéma volées au réel, simplement 75 minutes volées au réel. Je ne comprend pas trop. 








Moment de cinéma absolument simple. Moi, je suis ébahi. Est-ce du cinéma, c'est quoi du cinéma alors, comment on montre le dehors, et tout. Avec du rien, il y a déjà suffisamment à sentir et penser. C'est peut-être ça. Pas de métaphore, rien. Pas un chant : un aboiement.



24 juin, 2012

Bloc perdu 1.


Quand il fait soleil, j'écris dans ma tête. Je prépare des phrases pour après (sur un tas de sujets même). Et j'ai repêché un extrait d'un long texte écrit il y a trois ans, je crois. Un fond de tiroir car je l'avais perdu. Cela parlera à quelques-uns de mes tout proches amis (à qui je fais un énorme bisou). C'est un bloc sur les amis, sur les mains tendus en dessous qui accrochent les panards, sur les liqueurs, sur le matin où on croise des oiseaux sur les fils électriques et des oiseaux coincés entre les pavés, sur l'orange de la nuit dans des ruelles sinueuses. 


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Dormir boire fermer les yeux odeur sale répétitions infinis rire dormir boire à nouveau arrivée et départ virée dans la nuit dans la vieille ville cafés et terrasses vieilles femmes en marbre qui marchent richement boire pisser sous le saule pleureur chacun sur son jouet un cheval un bateau nous ivres rire blagues scabreuses gueuler du balcon chiens qui aboient en espagnol défilé vulgaire café rire photographies de mode complètement deux-mille-dix boire télé-écran à manger boire aller aux toilettes plusieurs fois se coucher dormir rigoler respirer elle me manque tellement l’odeur relâchée des cigarettes aspirées les yeux minuscules du matin à 14 heures porcs jouer jouer s’insulter gorge lourde fumée sortir le soir petit peuple idiot pied-nus que l’on embarque il veut tout détruire en agitant ses nerfs saignants le marchand paye cher sa bouteille sans gout on rentre las d’ivresse continu il était ridicule mais il faut pas lui dire sinon on n’a jamais fini dormir ivre café se reposer nouveau matin toujours le même une première cigarette seul puis ensuite avec les amis debout et se serrer car arrivée soudaine découverte agréable avec un tout nouveau visiter la ville et alentours nous boire et rigoler jusqu’à l’heure de boire toilettes bouchés matelas gras rage de la musique tout sec colonne psychique Big Sur dans les choux plus aucune place encore une nouvelle arrivée et grand plaisir les amis sont tous là oublier tout pousser les limites de l’humain du ventre du corps du fou qui loge dans chacune des carcasses le soir arrive on boit l’appartement qui doucement s’était rempli pendant 72 heures atteint son plein dix douze plus je ne sais pas musique qui hurle amis aussi je suis ivre je parle de poésie assomme mon camarade mais je me sens bien je gueule comme un fou tout le monde gueule tout le monde boit tout brille paillettes des riens pensées qui se perdent dans nos souvenirs brumeux sortir dans la rue agglutinement de la foule tout le monde est complètement ivre théâtre total avec mon camarade commentateur des métaphysiques agitées des sexes triste spectacle j’essaye de pas m’en rendre compte les copains se dispersent on croise d’autres pas vraiment des copains on parle de voyage je parle essaye de replonger dans la vie je peuple mes vides de mes passions elle me manque tellement je me sens seul un moment j’oublie je déambule souille la cage d’escalier innocente avec un ami on rigole fort pas de bout de verre on comprend sans dire on a chaud on se prend dans les bras on divise le monde avec notre corps puis c’est le creux du ventre il ne se passe plus rien on boit encore et on boit encore on se déplace je ne comprend rien on monte on déambule je n’arrive pas à citer par-cœur je m’en excuse mais mes tripes vibrent tout le monde semble se fâcher un peu on braille et on campe sur la nouvelle place forte on se regarde trop besoin de respirer un petit peu on ne sait plus quoi faire il n’y a plus trop à boire nous sommes dehors il fait un peu froid les gens se tirent dessus ça chante mais je n’arrive pas à écouter je retrouve mon miroir le rideau s’abat lentement sur les acteurs je bave je bave je pense je pense à elle mais ça ne sert à rien elle ne peut pas venir je suis ivre gangréné je suis loin on s’interroge je retrouve la bande sur un banc nous sommes serein nous nous aimons assez je crois les flics arrivent je donne l’alerte plus un prétexte pour se déplacer mais je ne m’en souviens plus on se déplace tous d’un seul coup et on se retrouve au bord d’un pont elle est haute la Nive ivres tout le monde fin de soirée anicroches déjections de foie des amis on trouve ça triste trop fatigué pour réagir aux mouvements d’émotions alors on salue le microcosme et on s’en va on rejoint l’appartement crade que l’on a laissé cinq heures plus tôt ils veulent manger ils ont raison je veux lire je ne peux pas je ne sais plus lire que dans mon cœur cou-coupé qui ferme la danse on mange le poète-métaphysicien s’endort seul sur son canapé on rit de lui un rire fin presque intelligent un rire qui aime un ami on parle je ne sais plus trop de quoi mais ce sont des prières les retardataires arrivent on leur sourit on rit on fatigue il est tard presque matin et c’est l’esprit aux commandes emmêlées que l’on s’endort pour une nuit pauvre et sans véritable devenir.

11 juin, 2012

Notes pour écrire


Il ne faut pas croire que la langue ne pollue pas. Elle suinte cette langue qu'on arrive à faire aller nulle part. Parfois ça marche, comme la lumière au creux du ventre se ternit. Sinon rien : et rien parvenir à raconter, ne pas devenir hystérique, sursauter devant la conjugaison. Ne pas aller très bien alors. J'ai la langue pleine de crasse. Et il n'y a rien alors ça cède. On peut toujours pousser la langue le plus loin possible pour ne pas la faire parler, cela se termine souvent par une issue assez impossible à entrevoir car incommunicable. Il y a un chat mal fichu depuis le début, il respire mal, il s'isole au fond du jardin, il titube, il respire mal, il dit rien, il meurt, il meurt. Et moi ; penser qu'à bégayer comme lui. Mais du parler quand même, pas du silence. Et avoir des mots à la place de son regard à lui qui décline. Il avale son brouillard et se laisse envahir, moi j'essaye de le décliner. Qu'est-ce qu'on doit dire avec des mots tout préparés comme ça.







Disons : je me rattrape en écrivant.


    voix morte mais écriture qui 
    n’aboie pas mais qui aimerait bien 
    (hurlant dedans à la place)
    sur la route ma sueur voit la sueur du camion 
    de bœufs ou camion viande mais 
    le froid coule sur mon cou
    trois brins d'herbe percent 
    le bitume

08 juin, 2012

 à Jean, le premier loufoque rencontré sur le chemin,



Quand, frais du matin, un pet sourd dévore ton bol de cornflakes. L’œil mignonnet. Puis l'obligation de te resservir un bol de vent.



(une déclinaison très débile de cette vérité très générale)