Cher Spicer,
Tu t’es si bien greffé aux branches de la
radio que j’ai eu du mal à te retrouver. Je ne sais pas trop ce que je fais,
puis j’ai lu, et j’ai compris : un poème, ça ne sert à rien. Deux poèmes
accrochés peuvent servir un peu plus. Je marche sur le noir et je compose par
secousses, des morceaux arrivent, je les empile, les accroche, décroche. Il y a
une cohérence toute magique qui se fait – la nuit enfantine joue et le vent
souffle alors sur ces lignes de poèmes. Le jour d’après, je traverse ces
enfilades à toute vitesse, les objets perdent un pied, les tables chancèlent,
sur un tableau il manque un buisson, un film passe à la télévision ou un avion
dehors écrit des mots absurdes dans le ciel. C’est la même maison mais tout
change en permanence. Et j’ai toujours aimé les immenses maisons.
Tout cela pour dire : quand je sillonne,
j’ai toujours un crayon et ma mémoire pour tenter d’attraper une séquence, une
plage, de réel. Mais les mots ne sont pas extensibles, ni colorés. Ça empire
toujours.
Un chien, c’est cinq lettres qui aboient.
Ce n’est que cinq lettres qui aboient. Je le crois, je veux le croire : un
chien dans un poème n’a pas à être autre chose. Ailleurs je lui laisse faire ce
qu’il veut, je le regarde, je le suis, il peut pisser sur ces cinq lettres et
ça m’amuse beaucoup, ça oui, et toi aussi.
Il n’y a pas trop de métaphore quand
j’écris parce qu’elles se font toutes seules. Elles n’ont pas besoin de moi. Ou
quand je saute une ligne de trop je les aide, mais je ne fais pas ça pour
elles, non, je le fais parce que c’est comme ça, que je vois les mots et ils me
disent : « là, prends une syllabe, fais-nous courir, ou encore laisse moi tout
seul, etc. ». Je ne fais pas ça pour elles, elles ne me demandent rien, je fais
ça parce que c’est comme ça.
Je déteste les métaphores dans la poésie
car je veux toujours dire ce que je veux dire, au moins une fois, pour faire
comme s’il y avait quelque chose.
M.
(in Février : 36 poèmes + 6 lettres, 2012).