15 avril, 2012

Volodinesque.





(Volodine regardant là où les migales se cachent par exemple ou qui te souhaite un bon dimanche parce qu'il est sympatique).




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(Volodine ou le voir entre les os, lire les lignes de la main en imagination, faire le mort, la danse avec les blattes, écriture-malaria, etc.)     









     Nous nous démenions sous la pluie battante ou sous le soleil écrasant, obligés de forcer le ton de nos cris pour vaincre le vacarme des gouttes fouettant la terre ou le perpétuel chant striduleux des cigales ou le bavardage des perroquets, des singes. Dans la cour des cuisines on me contraignait à assister aux égorgements et aux dépeçages. Il y avait là des garde-manger et des viviers. On tuait et on étripait devant moi des singes, des serpents, des tortues, et parfois ce que les impérialistes appellent des crocodiles et que nous appelons des jacarés : parfois oui, des jacarés gigantesques. 
     Quand on m'interrogeait sur mon identité, sur ma nature véritable, il se trouvait toujours un Auguani pour prétendre que je n'étais pas un Indien de pure souche, pour dire : Les Jucapiras doivent être classés à part, comme les Cocambos qui ne croient pas à la réalité du monde, les Jucapiras vont et viennent insidieusement parmi les Indiens tout en étant moins indiens qu e les autres. On testait mes connaissances de vocabulaire, me montrant les arbres qui poussaient au-delà de la palissade, derrière le bassin aux jacarés, on m'invitait à nommer les arbres avec la prononciation auguanie, à grande vitesse et sans me tromper, et, quelle que fût la qualité de ma prestation, il se trouvait toujours un ou deux Auguanis pour dire : Les nasales des Jucapiras ressemblent à des diphtongues impérialistes, comme des touristes. J'avais ensuite à m'expliquer sur des épisodes de ma vie révolutionnaire ou sentimentale. On rouvrait ensemble les vieux chapitres et les blessures.
     J'étais un familier de la cours des cuisines. Je connais bien la palissade qui tout autour formait une ligne sinueuse, infranchissable. Contre les piquets de bambou on m'adossait. Je faisais face au soleil de juillet, d’août, tandis qu’un des cuisiniers chargés de mon dossier vérifiait que le tranchant de sa machette sur la nourriture auganie, sur les victuailles qui entre vie et mort frémissaient.
     Je n’ai qu’à fermer les yeux pour revoir l’enclos, ses billots pelliculés au sang, ses mouches, le baquet où bleuissaient les pattes et les têtes de poulets qu’on laissait pourrir avant de les déverser dans la mare aux jacarés, presque directement dans les gueules.


[…]
      


Antoine Volodine, Le nom des singes, 1994, Minuit (pp.37-38).

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