20 décembre, 2012

Lettre Jack Spicer. 201212.


Cher Spicer,

Tu t’es si bien greffé aux branches de la radio que j’ai eu du mal à te retrouver. Je ne sais pas trop ce que je fais, puis j’ai lu, et j’ai compris : un poème, ça ne sert à rien. Deux poèmes accrochés peuvent servir un peu plus. Je marche sur le noir et je compose par secousses, des morceaux arrivent, je les empile, les accroche, décroche. Il y a une cohérence toute magique qui se fait – la nuit enfantine joue et le vent souffle alors sur ces lignes de poèmes. Le jour d’après, je traverse ces enfilades à toute vitesse, les objets perdent un pied, les tables chancèlent, sur un tableau il manque un buisson, un film passe à la télévision ou un avion dehors écrit des mots absurdes dans le ciel. C’est la même maison mais tout change en permanence. Et j’ai toujours aimé les immenses maisons.

Tout cela pour dire : quand je sillonne, j’ai toujours un crayon et ma mémoire pour tenter d’attraper une séquence, une plage, de réel. Mais les mots ne sont pas extensibles, ni colorés. Ça empire toujours.

Un chien, c’est cinq lettres qui aboient. Ce n’est que cinq lettres qui aboient. Je le crois, je veux le croire : un chien dans un poème n’a pas à être autre chose. Ailleurs je lui laisse faire ce qu’il veut, je le regarde, je le suis, il peut pisser sur ces cinq lettres et ça m’amuse beaucoup, ça oui, et toi aussi.

Il n’y a pas trop de métaphore quand j’écris parce qu’elles se font toutes seules. Elles n’ont pas besoin de moi. Ou quand je saute une ligne de trop je les aide, mais je ne fais pas ça pour elles, non, je le fais parce que c’est comme ça, que je vois les mots et ils me disent : « là, prends une syllabe, fais-nous courir, ou encore laisse moi tout seul, etc. ». Je ne fais pas ça pour elles, elles ne me demandent rien, je fais ça parce que c’est comme ça.

Je déteste les métaphores dans la poésie car je veux toujours dire ce que je veux dire, au moins une fois, pour faire comme s’il y avait quelque chose.

M.

(in Février : 36 poèmes + 6 lettres, 2012).

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