16 novembre, 2012

Jean-Marie Gleize, A noir.


(A propos de la poésie.)


« [...] il y a crise, il y a rupture, oui. Mais cette rupture est inévitable, est nécessaire. Mais cette crise est la poésie elle-même. C'était, on se souvient, le point de vue de Ponge, qu'il n'a jamais cessé d'affirmé malgré l'inconfort que cela suppose. On voit Francis Ponge, dès les Proèmes, élaborer une théorie de l'activité poétique comme « résistance » « résister aux paroles ». Cela signifie d'abord pour lui (avant toute autre considération plus technique) lutter contre les paroles toutes faites, les automatismes, les stéréotypes, l'idéo-logie qui me traverse et m'imprègne, m'interdit l'accès à moi-même, s'interpose, comme système d'images déformantes, entre moi et le monde, etc. Ce que Ponge appelle « poésie », c'est donc en tout premier lieu une pratique de rupture avec la langue admise, dominante, l'inévitable prise en compte du fait que la langue n'est pas seulement un système abstrait de règles, ou un ensemble concret de formes et de substances qui peut donner à jouir, mais avant tout, en chaque sujet parlant, la langue du pouvoir, des pouvoirs, donnée et imposée, contre quoi la poésie travaille. Chez Ponge, sous la volonté affichée de faire simple et direct, il y a cette représentation de la pratique poétique comme délibérément subversive, « anarchique »en ce qu'elle conteste radicalement l'« ordre des choses », et l'ordre des discours. Terroriste par définition.»


Jean-Marie Gleize, A noir / Poésie et littéralité, 1992, Seuil / Essais, page 143.