03 septembre, 2012

Faire sa rentrée / Agnès Desarthe. Une partie de chasse.



L'été grisaille un peu et comme nous sommes en septembre, je reviens un peu. Allons-y molo. Je lis pour vous un texte de la rentrée littéraire (dont je me fous) mais dont personne n'a parlé (parce que certains écrivains continuent de travailler à leur langue). Même : je vous le prête.







     C'est un texte bizarre qu'on lit d'un trait et accroché aux paragraphes très secs et malins. Le texte : Une partie de chasse, Agnès Desarthe, Editions de l'Olivier, 152 pages. Pas entendu parler avant, simplement une lecture, à haute voix, comme avec ce qui suit dessous par exemple (à toi).





"Ils commencent à évacuer l'école. Les enfants sautent dans les flaques, reçoivent des claques, pleurent. Les adultes hurlent, les poussent, les portent. On leur crie que la rivière est sortie de son lit. Ça les fait rire. Une rivière qui sort de son lit. Ha ! Ha ! Ils rient et pleurent en même temps."



     En soit : il y a une tempête très arbitraire qui tombe d'un seul coup alors que quatre bonhommes sont à la chasse et ne parlent pas. Ils sont un peu brutes. Il y a un lapin dans une gibecière qui dit des choses très simples. Il y a des souvenirs d'adultes et d'enfants avec la langue des adultes et des enfants. Les uns comme les autres surveillent rarement leur language. Et les paroles se relayent, s'enchaînent sous ce climat, se noient, crachouillent dans la boue, se transmettent et se déforment dans le temps, qui est bête comme tout. 

     Encore.


"Ça commence déjà à sentir la charogne dans vos habits trop imperméables pour permettre l'exhalaison de vos pores, ou trop perméables pour empêcher l'eau de vous envelopper. Votre puanteur est stupéfiante. Jamais senti un truc pareil. À votre place, je creuserais un trou (...) : vous creusez un trou et vous déshabillez, vous fourrez vos vêtements dans le trou afin qu'ils restent secs. Vous courrez et vous sautez pour vous réchauffer. Votre peau respire, vous êtes lavés, et quand la pluie cesse, vous n'avez plus qu'à vous faire sécher au soleil, ou au vent, ou simplement à l'air, et à remettre vos vêtements. Ainsi, vous aurez chaud. Ainsi, vous serez couverts. Car, oui, je sais, c'est très important pour vous d'être couverts. C'est quoi, au juste, votre problème avec la nudité ?"


     Le texte traite d'un apprentissage rugueux de l'impossibilité à saisir l'intériorité de l'autre. D'où les signes partout. Mais que l'on perd. Et l'autre qu'on envisage seulement. On ne tâtonne pas dans l'autre, il tâtonne sur nous. L'écriture déracine alors toutes les déterminations automates auxquelles la langue, absorbée en elle-même, abat sans réfléchir. L'écrivaine compte alors les mots utiles et aucun ne dépasse trop sur le réel.

     Voilà un texte qui cogne de l'intérieur de la langue et la fait déraper. Par vagues de crasse. Les personnages dérapent aussi : dans la quête du souvenir, dans leur présence, dans leur présence verbale, dans l'idée du sens qu'ils se font d'eux mêmes. Ils sont crades. Parce que l'individu essaye de contourner le feu. Mais il échoue ; comme après un jeu idiot. Ils sont crades et empêtrés dans une langue absurde (ils sont alors absurdes). Quitte à se retrouver cul nu et en bottes un jour d'orage, pour palier la petitesse de l'égo et de ses questions. Absurde alors, comme ce lapin qui court sans cesse à rebours, qui parle, qui fais le mort, joue au mort, fais mentir l'homme-de-rien-du-tout.


     Cul nu en bottes avec une grimace. A vrai dire, la littérature ne répond à aucune question précise. Singulière comme plurielle : tournant autour du pot, balbutiante, ne bouclant rien. Surtout pas spéculer, ni jouer numéro 10 des idées. Desarthe s'en moque tout à fait et si les choses sont affirmées, c'est au milieu des flashs, des photographies de la pluie, des accidents de la langue, du fusil chargé sans faire exprès. On est dans le brouillard et il s'insinue mystérieusement partout (homme/animal , homme/femme , homme/homme, homme/langue, langue/bateau, hasard/destin , bla/bla). On est dans le brouillard et il rit sans bruit. 



     "Une chaleur étrange, réfugiée dans la futaie, un abris.
    Il s'assied sur une branche, contemple l'eau en contrebas, à quelques mètres sous lui, examine son colis : visage de nacre tranquille. Farnèse croit voir une narine frémir. Il n'a pas le courage d'en savoir plus. Très vite, il défait le foulard qu'il porte autour du cou et s'en sert pour fixer le corps emmailloté à la branche la plus large qu'il trouve. Il vérifie que ça tient, ça résiste, que le paquet ne risque pas de s'envoler, de tomber, d'être emporté, et il plonge. Feuilles, feuilles, branches, feuilles, branches et branches, feuilles, branches, boue."



     On croit avancer toujours mais les adultes, pas plus que la langue, ne sont sérieux. On se pète la gueule.

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