20 juin, 2011

le sang d'un poète - Jean Cocteau

(Le sang d’un poète, 1950)
     



     Créer est un acte égoïste pur. La création passionnée est comparable à la masturbation. Un don aveuglé de soi. Jean Cocteau et son peintre jouissent seuls de leur création. La bouche du portrait inachevé, s’immisçant sur la main du peintre lie les deux sujets d’une profonde intimité. Ces artistes là donnent vie aux fantasmes, aux obsessions, aux quelques hantises labyrinthiques qui peuplent leurs subconscients. Néanmoins, une fois parvenue au sommet de l’auto-jouissance, le fluide-objet, devenu entre temps artistique, est expulsé.      

     



   

    Venant au monde - à l‘extérieur, au contact des choses.
    Les formes créées s’échappent et le poète doit les abandonner dans la nature, un tourbillon. Rien ne lui appartient plus. Ce qui est devenu joue avec le monde, joue avec son géniteur. C’est Cocteau la statue. La forme évolue dans l’oeil du spectateur - un décor. La forme chante seule, elle évolue dans une liberté que le poète n’aurait jamais pu imaginer. Le sens de l’objet artistique fuit, se dérobe sous sa propre métamorphose et dépasse ses lignes initiales. Cocteau sacrifie à son objet une part de lui. L’objet prend son envol sans son consentement et est bien décidé à vivre indépendamment de son créateur.

     

     

     Le sang d’un poète nous plonge dans les affres créatrices de Jean Cocteau. L’objet : sublimation de la chair. Il y a des corps beaux et mâles qui collent aux murs. Ils sont sévères, comme des animaux. Parfaits et énigmatiques : figure principale et statues, la femme mystérieuse, les enfants qui luttent dans la neige. Un rêve simple où tout répond à soi. 
     Les codes objectifs et naturalistes basculent, à l’écoute des troubles, des assemblages intérieurs, d’une création de toute pièce, le théâtre d’une vie sentie reconnue sur la scène. On emprunte le sentier : ouverture / fermeture - on assiste à travers le trou d’un mur à l’effondrement d’une ziggurat, vainement édifiée par l’artiste.







     Est offert un voyage d’une seule seconde dans les méandres de l’esprit maudit et trop subjectif pour le monde, malade - utilisant pour redonner un regard signifiant sur le monde, les éléments neutres de l’environnement commun, les objets à disposition.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Créer, c'est se découvrir, s'abandonner. C'est laisser danser son inconscient afin que s'extirpe l'original, tenter une fouille dans l'ambiance chaotique qui nous habite.

Mais si l'objet est une partie de soi, il provient d'un acte spontané, qui par définition est indéterminé. Comment y vois-tu un intérêt ? Pourquoi parler d'égoïsme ?

m. a dit…

J'ai un peu du mal à cerner ton commentaire.

Il n'y a aucun intérêt, excepté de voir ce qu'on porte se confronter au monde. Ce film est un jet de soi. Toutes les formes d'art ne sont pas ainsi.

Et égoïste, parce que ce n'est qu'à travers son spectre de couleurs qu'on retravaille le monde - dans ce film, ça sue de partout.

Et pourquoi pas parler d’égoïsme ? Avant d'entrer dans le monde, de rentrer dans une forme, la création est un amas tout personnel de choses très égoïstes - souvenirs, regards, fantasmes, etc.


Cordialement, et merci pour votre lecture cher anonyme.


M.A.

m. a dit…

Et, dernière chose : le propos très général s'y prête bien pour ce film dans lequel j'y ai vu, transpirer, une généalogie de la création artistique. Je n'ai pas pu faire autrement. Mais d'une façon de concevoir cette création artistique - où je me reconnais peut-être un peu.

Anonyme a dit…

L'égoïsme est une action qui n'est motivée que par ses propres intérêts.

"Ce film est un jet de soi". Quelque chose de dense, puissant et bref à la fois. La pulsion créatrice regroupe tous ces aspects.
Si elle peut être pressentie, peut-on dire qu'elle puisse être controlée ?
Et si elle subit une certaine forme de subjectivisme, est-elle pour autant orientée vers ses propres intérêts ?

Critique sympathique. Avec mes encouragements,
A.

m. a dit…

Merci de réagir comme ça, c'est intéressant pour nous deux.

Je pensais "égoïste" plutôt en tant que la création est tentative d'arrachement du monde par soi (dans le cadre du film, toujours) - de transformation. Je pense cet égoïsme plus dans la volonté première de créer que dans le résultat final constaté.

Le jet est contrôlé, dans la mesure où on se dit qu'on peut en faire quelque chose. Mais on se rend bien compte ensuite qu'une fois dans le monde (hors de soi), la forme n'appartient plus à son géniteur - d'ailleurs, c'est comme si, dans ce film, le poète ne cessait de lui courir après - pour lui donner une orientation certaine, mais pas l'orientation qu'il aurait voulu lui donner. Le monde pétrit aussi la forme de l'objet, c'est sûr - et dans un espace d'ordre complètement chaotique.


Je relis fatigué ce que je viens de lire et je me dis "On marche sur des œufs". Très bien !


Merci, et avec le plaisir de vous accueillir par ici de nouveau.


m.