20 mars, 2013

E. Hocquard - Abécédaire TLMSR.



"Nous vivons tous avec l’idée reçue – avant même l’école primaire - que la grammaire (le squelette de la langue), comme la Loi, doit être la même pour tous et qu’elle est immuable. Nul n’est censé l’ignorer et tout manquement à ses règles est sanctionné comme une faute grave. La grammaire dit : « Tout le monde se ressemble. » Nous la ‘’respectons’’ comme un monopole d’Etat, jusque dans les aspects les plus anodins et les plus intimes de notre vie. Ses lois régissent nos manières de parler et d’écrire, de lire et d’écouter. Mais aussi le ton et le débit de notre parole. Cette musique grammaticale, nous la percevons même dans les langues qui nous sont totalement étrangères, lorsque nous les entendons parler, même quand le sens de ce qui se dit nous échappe.

Pourtant on peut se poser des questions. Par exemple, pourquoi la grammaire d’un bègue devrait-elle être la même que celle de quelqu’un qui ne bégaie pas ? Parce que, rétorquera-t-on, la norme est de ne pas bégayer. Et si, précisément, le bégaiement était une manière de désobéissance, de résistance aux mots d’ordre de la grammaire imposée ? Gilles Deleuze dit qu’écrire c’est bégayer dans sa langue. En cela bégayer serait aussi un comportement politique. Claude Royet-Journoud demandait si un asthmatique a la même syntaxe qu’un non-asthmatique (Proust, par exemple, ses longues phrases). Etc."

Entrée Grammaire, préface de l'anthologie Tout le monde se ressemble, P.O.L, 1995 - par Emmanuel Hocquard.

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