27 novembre, 2012

Enquête : Je demeure en Sylvia & apocryphes.


                                                                                                     à Didier Coste, bien qu'il n'y soit pour pas grand chose finalement,



1
Je traîne beaucoup en ville. C'est assez peu dire. Le dimanche aussi. Pour m'occuper je rentre dans les magasins de livres. Le dimanche, le seul ouvert est sur le Cours Victor Hugo.  J'aimerai bien faire des enquêtes même minables à la place du dimanche dix-huit heures à Bordeaux.

 2
Je demeure en Sylvia. Editions de Minuit. Didier Coste. J'ai été assez surpris en trouvant le livre dans un bac de la bouquinerie. Un peu plus que surpris même parce que je ne m'attendais absolument pas à être surpris comme ça - un moment où une réalité factuelle rencontre le corpus de la langue écrite. C'était tellement drôle que je l'ai acheté sans regarder.

3
Je connaissais déjà de nom ce livre. A vrai dire, je connais Didier Coste car il est, encore aujourd'hui, un de mes professeurs. Je le vois, régulièrement - avec la valeur que ce mot revêt pour parler de l'Université, depuis quatre ans. Je comprends, d'ailleurs, de mieux en mieux ce qu'il dit après tout ce temps. Parfois non. J'ai appris qu'être perdu dans un labyrinthe n'était pas forcément une impasse (qu'on rigolait bien). Que c'est une euphorie folle aussi, en passant aussi, une aubaine théorique (allez, bien sûr : une occasion d'écrire encore des livres par dessus les livres jusqu'à ce qu'on s’essouffle).

Il a donc, en dehors de sa réalité physique, une réalité livresque. J'avais pourtant l'idée naïve que les choses marchaient dans l'autre sens (le livre puis l'auteur). Le nom de quelqu'un sur un livre et de celui que je vois une fois par semaine ce sont télescopés d'un coup. C'est peut-être ça l'afflux de surprise.

Le papier est jauni, c'est un assez vieux livre (1966), un livre caractéristique de chez Minuit : la maquette claire et quasiment inchangée depuis. Le livre a pas mal bougé : d'abord, je remarque un petit bout de papier sur lequel on peut lire Librairie Mimesis - c'est drôle toutes ces histoires de réalité superposées. Cela veut dire qu'avant d'être dans cette bouquinerie , elle fut dans une autre. Avant encore, dans une librairie de livres neufs (il y a longtemps maintenant), puis dans les mains d'un lecteur. Cela fait un livre sale.

Puis, quelqu'un a écrit à l'intérieur du livre.

4
Je n'ai pas les outils scientifiques pour la datation des traits de stylo. Je dirais cependant que ceux-ci ont, sur ce livre, bien une dizaine ou quinzaine d'années. Ce sont des interventions choisies minutieusement.

5
Les traces du stylo, rouges à l'origine, sont devenues marrons. Les pages sont épaisses et sentent jaunâtres et ne sentent pas grand chose car c'est un objet presque comme un autre un livre, sauf ce qu'il y a dedans : sous les lignes moléculaires des mots.

6
La couverture semble avoir été mordue.

7
L'enfant dit : ce n'est pas moi. Je le crois, je sais dater une morsure.

8
Je peux faire un tas de chose avec un livre que je n’ai pas lu mais qui a été lu bizarrement par quelqu’un, avec un stylo pour dire oui et non, pour décider. Ce quelqu’un a arrêté de lire à la page 28. Après plus rien.

9
Demandant à l'auteur (le vrai), son visage rigole. Il me raconte la trame de la conception du livre. Je connais l'histoire du livre. Il est petit mais fut grand et on a fait des grands coups de ciseaux chez Minuit et on avait déjà des barbes avant-gardistes (nouvelles) et en tant qu'unique publication, ce livre sait prendre seul le tramway. Fin de l'histoire.

10
Je peux faire vraiment un tas de choses drôles. Je peux faire proliférer un matériau de rien du tout. Je peux m’amuser comme l’autre et son stylo. Dépasser la page 28. Faire du faux avec du vrai, faire du faux avec du faux, faire du vrai avec du vrai faux. 

11
Les preuves de ce que je dis dessous (objectivistes). Le stylo a cru bon de souligner le mauvais serviteur de l’aube. Fatigué et lasse, le stylo meurt ensuite. Sont reproduites ici les pages retravaillées par l’inconnu.














12. Je commence.


Verdâtre, souillée d’usure, la porte s’ouvrira.
Ou bien il nous faudra cette union des membres et du dos étroit entre les tables drapées de nappes de damas ou cette chair blanche qui maintient l’impassible dans son fourreau glissant la valeur des masses.
Ainsi dans la mesure où je sais que tu es la maîtresse d’une retraite chaude dont rien ne vient sur le monde bleuir les cavalcades ; nous sommes des charmeurs de moineaux, rien ne nous distraira de toi dont la gorge est immobile.
Parce que je suis un mauvais serviteur de l’aube.

13
de mastic blanc bien mieux cette reptilité
quatre
qui se faufile
de nappes moins que
rosée mais non pâle
lumières et la souplesse
d’acier

14
La pluie passera, a passé déjà au travers. Une porte dans la porte. Je suis un mauvais serviteur de l’aube et le soir quand chaque chandelle aura été mise à feu par les mains petites la porte s’ouvrira. Notre identité par la rotation.  Elle s’est avancée et tend les bras, une jambe hors du vitrail. Une retraite chaude.

15
Blandine, nous ne sommes que des charmeurs d’oiseaux, rien ne nous distraira de toi dont la gorge est immonde. Je suis le serviteur de l’aube. Ou bien il  me faudra cette chair blanche.


16
             Verdâtre, souillée d’usure, la porte s’ouvrira.
Ou bien il nous faudra
cette union des membres et du
dos étroit entre les tables drapées
de damas
cette chair blanche
qui maintient impassible dans son
fourreau glissant la valeur des
masses.


Ainsi
dans la mesure où je sais que tu es la maîtresse
d’une retraite chaude dont rien ne vient sur le
monde bleuir les cavalcades ;

Et tremble le fer
nous sommes
des charmeurs de moineaux, rien ne nous distraira
de toi dont la gorge est immobile.

Parce que je suis un mauvais serviteur de l’aube.

17
parce que je suis un mau-
vais serviteur de l'aube.
j'ai tracé nettement
rouge d'un coup de stylo.


18
Cette chair blanche moins que rosée mais non pâle. Nous écoutons à ses portes. Et ils sont déjà tous morts. Des filles qui chantent : "... votre voix plaît à mon oreille, je ne suis vous causer d'effroi..". Non, il n'y a rien. Qu'y a-t-il ? Non, il n'y a rien. Etes vous fatigué ? Non, je me sens très bien = il n'y a rien.

19
Le principe de la série et de la reprise, c'est que c'est infini. Infini, c'est beaucoup. A l'avenir, je ne sais pas si je lirais des textes moi-même avec un stylo rouge. L'inconnu qui a fait voyagé le livre a eu moins cette audace : rajouter une couche problématique par dessus le texte. Et comme tout ce qui pose problème, on peut jouer avec. Je me demande bien ce que les gens barreraient s'ils trouvaient un livre avec mon écriture à l'intérieur. Il y a deux auteurs : celui du livre et du méfait. Non. Je ne suis pas sûr de ce que c'est un méfait. Un mal fait, un fait mal. Plutôt un deuxième auteur : le lecteur tellement actif qu'il bave et juge sur le texte. Qu'est-ce que je dois faire moi. Je ne suis pas sûr d'avoir trouver de réponse. Je suis un mauvais serviteur de l'aube.


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